La doctrine de l'Urssaf est scrutée par les contribuables, les cotisants, les professionnels du droit, les gestionnaires de paie ainsi que par les gestionnaires RH. Et pour cause : elle constitue une source juridique fiable, ayant l'immense avantage d'être claire et actualisée.
Elle comporte parfois une interprétation des normes législatives ou réglementaires en vigueur (l'administration allant au-delà des textes) voire, plus exceptionnellement, une position contrecarrant les normes édictées.
Se pose alors la question de sa validité et de son opposabilité.
On rappellera d'abord que la doxa administrative est constituée de circulaires, de notes, de lettres et d'instructions dont une partie est réunie au sein du Bulletin Officiel de la Sécurité sociale (BOSS) depuis le 8 mars 2021.
On ajoutera ensuite qu'ayant la valeur de documentation administrative, les textes figurant au BOSS sont en principe destinés à un usage interne. Ils aiguillent les membres des administrations ou le personnel de l'URSSAF sur le sens à donner aux dispositions qu'ils doivent appliquer.
C'est pourquoi ces documents n'ont pas de valeur juridique propre.
Ils pourraient dans une certaine mesure s'apparenter à la Doctrine, dont la fonction première est de présenter et d'analyser l'état du droit. On les en distingue en ce qu'ils émanent de l'Administration et non des professionnels du droit.
Sur le plan juridique, ils ont la valeur de circulaires, donc d'actes dépourvus de force obligatoire.
Cela étant dit, la publicité qui en est faite via Internet permet à tout un chacun de les lire et de les invoquer. Cette situation n'est pas de nature à en changer la portée, mais elle conduit de fait à s'en prévaloir contre les administrés ou les cotisants et … inversement.
Il a donc fallu trancher la question de savoir si cela était possible.
Question au demeurant soulevée dès la mise en ligne du Boss : certaines des dispositions du Bulletin officiel comprenant au jour de sa parution des avancées juridiques ne correspondant pas à l'état du droit applicable, il a été décidé de reporter son entrée en vigueur du 8 mars 2021 au 1ᵉʳ avril 2021.
L'incident, pour être mineur, posait l'impossibilité de principe d'ajouter à la loi et incidemment l'interdiction de se prévaloir des interprétations contra-légem du BOSS.
Trois articles ont vocation à régler le problème.
Le premier (art. L. 312-2 du Code des relations avec le public) précise :
"Font l'objet d'une publication les instructions, les circulaires ainsi que les notes et réponses ministérielles qui comportent une interprétation du droit positif ou une description des procédures administratives...".
Le second (art. L. 312-3 du même code) ajoutant :
"Toute personne peut se prévaloir des documents administratifs mentionnés au premier alinéa de l'article L. 312-2, émanant des administrations centrales et déconcentrées de l'État et publiés sur des sites internet désignés par décret.
Toute personne peut se prévaloir de l'interprétation d'une règle, même erronée, opérée par ces documents pour son application à une situation qui n'affecte pas des tiers, tant que cette interprétation n'a pas été modifiée.
Les dispositions du présent article ne peuvent pas faire obstacle à l'application des dispositions législatives ou réglementaires préservant directement la santé publique, la sécurité des personnes et des biens ou l'environnement.".
Le troisième article - L. 243-6-2 du Code de la sécurité sociale – disposant à son tour :
"I. - Lorsqu'un cotisant a appliqué la législation relative aux cotisations et contributions sociales selon l'interprétation admise par une circulaire ou une instruction du ministre chargé de la sécurité sociale, publiées conformément au livre III du code des relations entre le public et l'administration [...] les organismes mentionnés aux articles L. 213-1, L. 225-1 et L. 752-4 ne peuvent demander à réaliser une rectification ou, lors d'un contrôle, procéder à aucun redressement de cotisations et contributions sociales, pour la période pendant laquelle le cotisant a appliqué l'interprétation alors en vigueur, en soutenant une interprétation différente de celle admise par l'administration.".
De ces dispositions, il résulte que l'administré ou le cotisant peuvent se prévaloir :
1. d'une interprétation régulièrement publiée
2. que celle-ci soit exacte ou erronée (du moins tant qu'aucune correction n'est intervenue)
3. seulement pour les situations les concernant personnellement (n'affectant pas les tiers), et dans lesquelles l'administration entend user à leur égard d'une interprétation différente
C'est ce que la Cour de cassation prend soin d'expliciter :
- « en application de l'article 12 du code de procédure civile, le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables, dont ne font pas partie les circulaires, dépourvues de toute portée normative. »
- "le redevable ne peut opposer à l'organisme de recouvrement l'interprétation de la législation relative aux cotisations et contributions sociales par une circulaire ou une instruction du ministre chargé de la sécurité sociale publiée, selon les modalités qu'il précise, que pour faire échec au redressement de ses cotisations et contributions par l'organisme fondé sur une interprétation différente.".
L'opposabilité est donc l'exception : c'est uniquement dans le cas d'une interprétation en défense qu’un particulier est autorisé à opposer à l'administration ses propres dispositions et interprétations.
Aucun pouvoir d'action fondé sur la doctrine administrative ne lui est reconnu, ce qui reviendrait à conférer aux circulaires une force juridique qu'elles n'ont pas.
Voilà pourquoi on ne peut réclamer la protection d'un droit ou l'exécution d'une obligation sur le seul fondement du BOSS.
Ajoutons deux observations pour finir.
S'il n'est pas possible de se prévaloir spontanément d'une interprétation du BOSS, il est par contre possible de la faire chuter ; solution revenant à l'écarter pour sauvegarder l'exercice de ses propres droits. Il convient pour cela de s'adresser au juge administratif.
Le BOSS traduit l'interprétation que l'administration entend appliquer aux redevables. Sous réserve du respect de la légalité, cette position leur est bien opposable. Ils doivent donc s'y conformer sauf à risquer la remise en cause de leur situation sociale.
Ella Ragain
Références :
- arrêt de la chambre sociale du 16 mars 2023 (pourvoi n° 21-19.066)
- arrêt du Conseil d'Etat du 14 mars 2022 (recours n° 453073)
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