Le contrôle exercé sur le salarié est susceptible d’avoir plusieurs visées : surveiller le respect par le travailleur de ses obligations contractuelles ou du règlement intérieur, s’assurer de la licéité ou de la loyauté de son comportement, apprécier sa performance.
Ce contrôle est traditionnellement le fait du supérieur hiérarchique ou des managers de proximité, mais dans beaucoup d’entreprises, la tendance actuelle est la multiplication de sources de surveillance plus "objectives".
On peut citer : le badgeage, la vidéosurveillance ou bien l’explosion du contrôle informatique à distance reposant sur des algorithmes tout aussi subtils que nébuleux.
Une des dernières nouveautés en date est sans aucun doute la transformation du client en délateur professionnel, induisant même l’émergence d’un secteur économique dédié à cette juteuse occupation.
Le procédé est simple : un "faux client" se présente dans les locaux de l’entreprise en vue d’observer les modalités d’exécution du travail, d'analyser les comportements des collaborateurs et de relater la qualité des interactions professionnelles opérées.
Ce mode de contrôle moralement et juridiquement discutable, constat ne relevant ni de "l'huissier de justice" ni du professionnel assermenté, est admis par la Cour de cassation au même titre que les dispositifs plus anciens.
Sa légitimité est donc acquise sous réserve de respecter :
- les articles L. 1222-3, L. 1222-24 et L. 2312-38 du Code du travail (information préalable des salariés et des institutions représentatives du personnel) ;
- les articles du RGPD (récolte de données et conservation conforme aux exigences européennes).
Ces conditions étant remplies, le recours au « client mystère » ne relève plus du "stratagème" et les éléments de preuve obtenus par son intermédiaire sont utilisables en justice.
C’est ainsi qu’un salarié a pu être régulièrement licencié sur la base des constatations d’un "client" relevant la non-remise des tickets de caisse lors des ventes, opération exigée par son employeur.
Les juges du fond ayant confirmé le licenciement, la Cour de cassation saisie d’un pourvoi a validé le procédé le 6 septembre 2023 et admis la preuve de la faute du salarié sur ce fondement (fiche d’intervention de la société ayant envoyé le client mystère) car :
- une information préalable avait été donnée au CSE quant à l’emploi du dispositif critiqué ;
- une information préalable avait été également donnée au salarié (note d’information affichée décrivant la technique du client mystère et son but).
Pour être certaine, la solution doit être examinée à la lumière des textes appliqués, plus exactement au regard de l’article L. 1222-3 al. 1 du Code du travail exigeant une information "expresse".
Ceci amène à formuler deux observations :
L’information expresse n’est pas une information individuelle : elle ne suppose pas la diffusion de l’information au salarié concerné, une diffusion de type généraliste étant suffisante selon la Cour de cassation (affichage, mise en ligne, etc.).
L’information expresse n’est pas une information personnalisée : elle ne suppose pas de faire spécifiquement connaître au salarié l’usage du procédé qui en sera fait à son égard. Une information de type généraliste apparaît là encore suffisante : indication de principe du recours au client mystère, nombre de passages éventuels et finalité globale de ce type de contrôle.
Est-ce à dire que la validité du recours au client mystère, sous réserve d’affichage et d’information telle que précédemment caractérisée, est définitivement acquise à l’aune de la jurisprudence de septembre 2023 ?
On ne peut décemment le soutenir, et cela, pour plusieurs raisons.
D’abord, la Cour de cassation n’a pas examiné certains arguments du salarié fondés sur la violation des articles 9 du Code de procédure civile et de l’article 6 § 1er de la CESDH, ou encore sur le principe de loyauté dans l'administration de la preuve (développements écartés dans cette affaire pour des raisons procédurales).
Ensuite, la nécessaire pertinence du dispositif "au regard de la finalité poursuivie" exigée par l’article L. 1222-3 al. 3 précité, n’a pas été évoquée.
Se posent donc encore la question de la proportionnalité du dispositif de contrôle employé (le client mystère) au regard de l’objectif poursuivi et celle des limites à poser au titre du respect dû à la vie privée.
Mais aussi celle de la loyauté de la preuve issue du procédé, fût-il annoncé dans son principe ; point sur lequel la Chambre sociale sera appelée à se prononcer sous peu.
À ce stade, il reste encore des zones d'ombre, et cela, même après l'arrêt rendu par l'Assemblée plénière le 23 décembre dernier en matière de loyauté de la preuve :
- le recours au client mystère doit-il être regardé dans tous les cas comme loyal ? Le seul fait d'indiquer son usage éventuel ne faisant pas disparaître l'intrusion d'un client factice à n'importe quel moment et n'excluant pas un détournement du procédé.
- le constat effectué par le client mystère peut-il être regardé dans tous les cas comme indispensable à la préservation des droits de l'employeur ?
- le contenu du rapport est-il possiblement de nature à porter atteinte aux droits fondamentaux du salarié ? Oui ? Non ? Dans quelle mesure ?
Le moins que l’on puisse dire, c’est que les conditions matérielles du recours au client mystère seront affinées dans un proche avenir.
D’ici là et comme dirait Jean de la Fontaine, "la méfiance est mère de la sûreté".
Ella Ragain
Références :
- arrêt de la Chambre sociale du 6 septembre 2023 (pourvoi n° 22-13.783)
- arrêts de la Chambre sociale du 1ᵉʳ février 2023 (pourvois n° 20-20.648 et 21-11.330)
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