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9/11/2023

L'incitation à faire grève

L'actualité
Par 
ABL Formation
greve

Pour rappel, faire grève constitue l'exercice d'un droit légalement consacré, qui n'est donc pas fautif en soi. Cela peut le devenir si le fait d'être gréviste s'accompagne d'actes pénalement répréhensibles ou encore si le salarié-gréviste commet des actes qualifiés de faute lourde bien que ne relevant pas d'une infraction pénale.

Relève de la dernière catégorie le fait de chercher à désorganiser l'entreprise ou encore de porter atteinte à la liberté de travail des autres salariés.

Qu'en est-il du salarié incitant ses collègues à faire grève ?

La situation du salarié incitant à débrayer est-elle la même selon que le travailleur a déjà la qualité de gréviste ou ne l'a pas encore au moment où il appelle ses coéquipiers à se joindre à la cessation de travail ?

Autant de questions importantes, car l'insécurité juridique pesant éventuellement sur la personne cherchant à emporter l'adhésion d'autrui en vue de cesser le travail est susceptible d'influer sur la survenance même du mouvement de grève ou sur son importance en conduisant à en réduire le nombre de participants. Par ailleurs, admettre la faute du salarié insufflant vie ou force à un conflit collectif n'est pas neutre : on sait les mesures de représailles que risquent de subir les individus désignés comme « meneurs » d'un mouvement de grève. Dans cette configuration, reconnaître l'existence d'une faute pour avoir incité à la grève revient à donner à l'employeur les moyens juridiques de son ressentiment.

Le Code du travail ne réglemente pas l'avant-grève. Il réglemente seulement la grève, dont il protège l'exercice à l'article L. 2511-1, pour autant que la cessation de travail concernée remplisse les conditions posées à sa licéité : "L'exercice du droit de grève ne peut justifier la rupture du contrat de travail, sauf faute lourde imputable au salarié. Son exercice ne peut donner lieu à aucune mesure discriminatoire telle que mentionnée à l'article L. 1132-2, notamment en matière de rémunérations et d'avantages sociaux. Tout licenciement prononcé en absence de faute lourde est nul de plein droit.".

Inciter à la grève dès lors que le mouvement est valablement lancé et donc textuellement protégé, du moins tant que l'incitation à faire grève ne relève pas elle-même d'un comportement abusif (menaces ouvertes ou larvées de se joindre au mouvement).

Mais qu'en est-il de l'incitation initiale à faire grève ? Dans cette hypothèse, il s'agit pour le salarié de poser un acte dès avant le début officiel du mouvement de grève, marquant l'amorce de la protection juridique accordée au gréviste par la loi. La situation pose globalement la question de la protection de l'initiateur du mouvement, du salarié qui, dès avant la cessation collective du travail, est le premier à interrompre son activité.

Le cas de figure n'est pas une hypothèse d'école. La Cour de cassation a été saisie de la question à la fin de l'année 2022, puis de nouveau en 2023. Un employeur reprochait alors au premier salarié gréviste un acte d'insubordination (ayant consisté à interrompre le travail, pour cause…) suivi d'une incitation fautive à faire grève, destinée à couvrir son manquement contractuel :

"Votre action constitue donc un acte d'insubordination caractérisé, d'autant plus grave que pour tenter après coup de justifier votre acte, vous avez incité vos collègues à faire grève, compromettant par là-même le devenir économique de la société et leurs emplois."

Amenée à statuer sur la licéité du licenciement prononcé, la formation restreinte de la Cour applique au litige les principes jurisprudentiels dégagés en 2022, protégeant en cette occasion la personne se trouvant à l'initiative du conflit collectif :

• la protection définie à l'art. L. 2511-1 du Code du travail s'étend aux actes intervenant durant la grève, mais encore à son occasion, ce qui inclut l'acte initiateur du mouvement ;

• l'incitation à faire grève ne peut donner lieu à sanction ou licenciement, sauf à relever d'une faute lourde que l'employeur doit caractériser ;

• hors faute lourde, tout licenciement prononcé pour incitation à faire grève est frappé de nullité.

L'incitation à faire grève n'est pas fautive.

Référence : arrêt de la Cour de cassation du 1ᵉʳ juin 2023, pourvoi n° 22-13.304.

Ella Ragain

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