Le choix de la voie amiable, en lieu et place de la voie contentieuse, présente de grands avantages pour le justiciable comme pour la Justice. Il est possible de les résumer en quelques mots : moins de temps perdu, des économies d'argent.
C'est pour cette raison que les procédures de règlement amiable sont apparues progressivement dans le paysage judiciaire.
Toutefois, ce mode de règlement des litiges, omniprésent dans les textes et devant les juridictions, n'est pas parvenu à s'imposer en pratique.
Faut-il y voir l'expression d'un manque d'information du justiciable ? Ou bien la volonté du plaignant de voir reconnaitre ses droits, posture supposant a priori que l'on n'en reconnaisse pas ceux de son adversaire.
La question n'intéresse pas vraiment : la conciliation, c'est bien ! C'est mieux ! "Allons, tous ensemble, mettre au vert tous les feux de l’amiable" (ministère de la Justice, le 13 janvier 2023).
D'évidence, le recours aux modes alternatifs des règlements des différends (MARD) n'est pas une nouveauté. Ces solutions ont été soutenues et développées sous l'influence de l'Etat, et cette tendance s'est sensiblement renforcée ces dernières années.
Les mesures qui attestent du phénomène sont multiples. On citera entre autres :
- l'ouverture de l'aide juridictionnelle pour les procédures de médiation et de conciliation ;
- la création d'une procédure participative de mise en état (étendue au procès prud'homal en 2015) ;
- l’installation d’un Conseil National de la Médiation suite aux Décrets des 25 octobre 2022 et 11 mai 2023), organe chargé de « rendre des avis, des propositions, des recommandations » sur toute question intéressant la médiation et d'en concevoir la déontologie ;
- enfin, point d'orgue de l'évolution, la généralisation d'une phase amiable pour les procès devant le Tribunal judiciaire avec la création d’une audience de règlement amiable (ARA) par le Décret du 29 juillet 2023 (mesure applicable depuis novembre).
Le 13 janvier 2023, un état des lieux de la médiation a été brièvement esquissé par le Ministre de la justice à l’occasion du lancement officiel d'une "politique de l’amiable" présentée comme une véritable « révolution culturelle ».
L'état des lieux présenté par le ministère de la Justice mérite d'être analysé à la lumière des statistiques publiques, opération conduisant à tout le moins à relativiser la situation actuelle.
En effet, les chiffres parlent d'eux-mêmes :
- plus de 2.800 conciliateurs de justice et plus de 2.800 médiateurs de justice (contre 36.000 fonctionnaires, de 9.192 magistrats) ;
- 82.000 accords amiables conclus sur approximativement 170.000 affaires traitées (contre plus de 2 millions de décisions rendues en matière civile et commerciale).
Un chiffre qui laisse songeur lorsque l'on connaît la charge de travail des magistrats : sont ainsi recensés 9.192 magistrats civils et commerciaux en exercice au titre de l'année 2022 (statistiques ministérielles) là où est fièrement annoncée par le ministère plus de 5.600 personnes participant aux mécanismes de résolution amiable.
À seulement comparer le nombre de dossiers respectifs traités par les deux catégories d'acteurs, on ne peut qu'être surpris du faible résultat obtenu en matière de règlement amiable (82.000 vs 2 millions), s'interroger sur l'affectation des moyens humains au service de la justice voire questionner la teneur des données figurant sur le site du ministère.
Au-delà de ces observations, force est de constater la volonté publique de lancer une politique de l’amiable, dont la mise en place échappera quasi-totalement au contrôle parlementaire (mise en œuvre par voie réglementaire, puis présentation du nouveau système devant la commission des lois de chaque Assemblée).
L'inversion du paradigme que constitue en matière d'organisation judiciaire une politique générale faisant de l'amiable la voie d'expression première du procès peut-elle se suffire de dispositions réglementaires ?
Le rapport annexé à la Loi du 11 octobre 2023, explicitant plus avant la réforme, est sans ambigüité. Si certaines dispositions ne peuvent qu'emporter l'assentiment comme celles prévoyant de regrouper l'intégralité des règles du domaine dans un seul livre du code de procédure civile ou la désignation d'un magistrat référent devant s’assurer de l'effectivité de la mise en place des procédures amiables légalement prévues, d'autres laissent perplexes.
Que penser du formatage exigé de professionnels libéraux (Avocats) ou d'une procédure de règlement amiable présentée comme devant "amener les parties, avec l’aide de leurs avocats, à trouver un accord auquel il peut être donné force exécutoire" ?
La mission du juge est de trancher les litiges. Est-elle de convaincre le justiciable, de l'influencer ? D'aucuns diraient sans ménagement, est-elle d’arracher un accord socialement avantageux. Car faut-il le rappeler, le particulier aux prises avec le système judiciaire est le plus souvent impressionné... comme impressionnable.
Ella Ragain
Références :
- Décret n° 2022-1353 du 25 octobre 2022.
- Décret n° 2023-357 du 11 mai 2023.
- Loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027.
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