Une personne ne peut être « traitée de manière moins favorable qu'une autre ne l'est, ne l'a été ou ne l'aura été dans une situation comparable » en matière notamment de recrutement, rémunération, formation ou encore de licenciement à raison de certaines de ses caractéristiques propres.
En référence à l'article 1er de la Loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire, figurent parmi les caractéristiques personnelles ne pouvant entrer en ligne de compte lors de décisions managériales :
l'origine, le sexe, la situation familiale, la grossesse, l' apparence physique, une situation économique, particulière vulnérable, le patronyme, le lieu de résidence, la domiciliation bancaire, l'état de santé, la perte d'autonomie, le handicap, les caractéristiques génétiques, les mœurs, l'orientation sexuelle, l'identité de genre, l' âge, les opinions politiques et activités syndicales, l'usage d'une langue étrangère, l' appartenance ou de sa non-appartenance à une ethnie, nation, race ou religion déterminée.[1]
Les principes sont bien établis, mais cela n'est pas suffisant : encore faut-il les faire respecter et sanctionner les manquements éventuels.
Et c'est là qu'intervient la question de la preuve. Sans éléments probatoires, les principes édictés ne sont que des coquilles vides.
En droit commun, le salarié devrait d'emblée établir la discrimination dans tous ses éléments (volonté de discriminer, actes s'y rapportant, traitement défavorable conséquent). Une telle exigence ferait relever l'action du discriminé d'un véritable parcours du combattant.
C'est pourquoi la gestion de la preuve fait l'objet de règles spécifiques. Il suffit à l'employé victime de rapporter une série de faits convergents de nature à faire penser à l'existence d'une discrimination. S'opère alors un partage de la preuve : celle-ci incombe à ce stade à l'employeur, lequel doit produire les éléments objectifs fondant les faits reprochés s'il ne veut pas être reconnu coupable de discrimination.
Pour autant l'assouplissement procédural ne règle pas tout : la nécessité d'établir un traitement différencié reposant sur une discrimination exige parfois de pouvoir produire des éléments comparatifs en vue de la caractériser, lesquels éléments sont nécessairement relatifs à des tiers.
Et ces données, encore faut-il pouvoir les obtenir.
En effet, elles sont le plus souvent entre les mains du service des ressources humaines ou de la comptabilité qui n'ont aucune raison - voire même juridiquement interdiction - de les communiquer au salarié.
Cela complexifie grandement l'action de la victime de discriminations. En effet, elle devra soit effectuer une recherche spécifique (donc un contentieux supplémentaire), soit s'en remettre au juge prud'homal qui peut parfois ne pas s'emparer véritablement de la question.
La Défenseure des droits en 2022 enjoint d'ailleurs, dans une décision particulièrement détaillée, les magistrats du fond à user pleinement de leurs prérogatives en vue de rechercher les informations essentielles à ce type de litige.
Au-delà de ce constat et des pistes possibles d'amélioration, il reste que les choses évoluent plutôt positivement en la matière.
Le refus de l'employeur de communiquer certaines pièces pour comparaison (bulletins de paie, suivi des contrats de travail) constitue déjà un indice susceptible de donner naissance- avec d'autres - à l'obligation d'avoir à objectiver la décision contestée sauf à voir reconnaître la responsabilité de l'entreprise.
Le salarié discriminé est autorisé à demander - par la voie du référé probatoire - la production sous-astreinte de certains bulletins de paie, avec les mentions strictement nécessaires à l'établissement de la différence de traitement fondée sur la discrimination (arrêt du 8 mars 2023).
Dès lors qu'elles sont utiles à la comparaison, les mentions personnelles figurant sur ces pièces ne peuvent être expurgées (nom, prénom, âge et sexe). L'atteinte portée au respect de la vie privée des tiers en résultant est autorisée car limitée et proportionnée au but recherché.
L'usage des tests de discrimination est également admis, tout comme le recours aux statistiques (arrêt du 14 décembre 2022).
La comparaison n'est d'ailleurs pas forcément nécessaire à l'établissement d'une discrimination (arrêt du 20 septembre 2023).
Enfin, Last but not least : une proposition de Loi du 4 juillet 2023 visant à mettre en place un service public de lutte contre les discriminations est en cours d'examen devant le Parlement, qui, si elle aboutit, renforcera davantage encore le droit à la preuve du salarié discriminé.
Ella Ragain
Références :
- décision-cadre du Défenseur des droits n°2022-139 du 31 août 2022
- arrêt du 20 septembre 2023 (pourvoi n° 22-16.130)
- proposition de Loi n° 1494 du 4 juillet 2023
[1] NRLR: liste synthétisée.