Le 13 septembre dernier, la Cour de cassation a pris sur elle de "rétablir la légalité française" dans le cadre d'une série d'affaires, comme elle prend le soin de l'indiquer dans une notice du même jour :
"La Cour de cassation met en conformité le droit français avec le droit européen en matière de congé payé. Elle garantit ainsi une meilleure effectivité des droits des salariés à leur congé payé."
Au vu de certaines dispositions européennes directement applicables en France, elle considère que le salarié malade a droit à l'acquisition de congés payés en cas d'arrêt de travail, quel que soit le motif à l'origine de son prononcé (6 affaires sont concernées : pourvois n° 22-17.340 à 22-17.342, 22-17.638, 22-10.529 et 22-11.106).
La juridiction rompt frontalement avec le Code du travail, l'écartant et faisant logiquement prévaloir les normes européennes supérieures.
Sont concernés par cette évolution jurisprudentielle :
· les arrêts pour maladie d'origine non professionnelle ;
· les arrêts pour maladie d'origine professionnelle (sans considération de temps) ;
· les arrêts pour accident du travail (sans considération de temps).
En effet, on rappellera brièvement qu'en cas d'accident du travail et de maladie professionnelle, le salarié en arrêt de travail bénéficiait déjà, par exception, du maintien du droit à congés payés, mais uniquement lors d'une période de temps limitée (une année et sous réserve d'un arrêt de travail continu).
Faute d'avoir vu le Parlement mettre le Droit français en règle avec le Droit européen pour des raisons économiques évidentes (alourdissement de la masse salariale des entreprises), la Haute Cour décide d'accueillir la demande des salariés et écarte l'article L. 3141.3 du Code du travail.
On rappellera que l'absence de prise en compte de la période d'arrêt pour déterminer les droits à congés payés se fonde sur la règle de la suspension du contrat de travail : ces derniers s'acquérant par l'activité, l'interruption de travail liée à la maladie entraîne une suspension contractuelle qui s'oppose à l'intégration de la durée de l'arrêt maladie dans la période de comptabilisation des droits.
Ce raisonnement juridique, parfaitement valable, ne tient cependant pas face à la supériorité du droit à congé édicté par l'autorité européenne, qui le qualifie de "principe essentiel".
Il y a maintenant plus de trois décennies, l'Europe initiait la protection du droit au repos des travailleurs avec la directive 93/104/CE et ses directives modificatrices codifiées par la Directive 2003/88/CE. Depuis lors, elle a sanctuarisé ce droit dans des textes fondamentaux (Charte sociale et Charte des droits fondamentaux notamment) :
Ainsi, "tout travailleur a droit [...] à une période annuelle de congés payés" (article 31.2 de la Charte des droits fondamentaux).
En son temps, c'est d'abord la question du délai de 10 jours de travail effectif exigé durant la période de référence de calcul du droit à congé qui avait fait l'objet de discussion judiciaire avant d'être définitivement écarté. Depuis lors, le droit à congés payés s'acquiert pour chaque période de référence dès le 1ᵉʳ jour d'activité du salarié.
D'autres avaient suivi, dont celle qui nous intéresse ici, relative à la situation du salarié involontairement absent.
La question est aujourd'hui tranchée : en cas de maladie, le salarié doit acquérir des droits à congés payés durant l'intégralité de la période d'arrêt de travail.
Autrement dit, tout arrêt de travail donne droit à des congés payés sans distinction, qu'ils soient d'ailleurs indemnisés ou pas.
Voilà qui constitue une mini-révolution pour les gestionnaires de paie, lesquels doivent dès maintenant comptabiliser différemment les droits des salariés et redresser les compteurs de congés payés des salariés malades pour la période de référence en cours.
Reste aussi à traiter les droits à congés payés des salariés malades s'agissant des périodes de référence antérieures et non encore couvertes par la prescription.
D'évidence, l'entreprise se trouve face à un choix :
· auditer la situation de ses salariés et ex-salariés en vue d'apurer les comptes ;
· traiter uniquement les réclamations individuelles des salariés au fil de l'eau avec le risque de s'exposer à une procédure de prise d'acte de rupture du contrat de travail.
Dans tous les cas, il est quasi certain que la problématique sera soulevée à l'occasion des ruptures contractuelles à partir de ce jour.
Ella Ragain
Références :
- Arrêts de la Chambre sociale du 13 septembre 2023 (pourvoi n°22-17.340 sur la maladie et n°22-17.638 sur l'accident du travail).
- Notice du 13 septembre 2023, Congé payé et droit de l’Union européenne (https://www.courdecassation.fr/getattacheddoc/65015d5fee1a2205e6581656/f95b9ae0b93fdab8aaa0049066074ac7).