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2/1/2024

Barème Macron : à quand le nouvel épisode ?

L'actualité
Par 
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Barème Macron

En janvier 2003, le Premier Président de la Cour de cassation, évoquant les relations unissant la plus haute instance juridictionnelle civile au monde du Droit, déclarait solennellement :

« Parmi les ingrédients qui nourrissent les délibérés de la Cour de cassation figurent la jurisprudence des autres juridictions judiciaires et celles des juridictions administratives.

 Il ne s’agit pas pour la Cour de cassation de s’aligner automatiquement sur la position majoritaire des juges du fond. [...] Mais lorsqu’elle constate que sa jurisprudence rencontre de fortes résistances, qu’elle est contraire à celle du Conseil d’État ou qu’elle est largement critiquée par la doctrine, elle doit à tout le moins s’interroger sur sa pertinence et la reconsidérer à nouveaux frais. »

 La déclaration suscite l'attention lorsque l'on connaît les divergences de vue qui opposent depuis plusieurs années la juridiction suprême et les juges du fond concernant l'encadrement légal des indemnités de licenciement.

 Un bref rappel s'impose en la matière.

 En 2017, le barème encadrant légalement le montant des indemnités de licenciement allouées aux salariés licenciés sans cause réelle et sérieuse est créé par voie d'Ordonnance.

 Ce système, validé par le Conseil constitutionnel en 2018, s'impose normalement aux juges. Ces derniers sont donc dorénavant privés de la faculté de moduler librement le montant des indemnités prononcées pour les licenciements invalidés.

 En 2019, interpellée par des Conseils de prudhommes (Louviers et Toulouse) sur la compatibilité du barème avec la Convention sur le licenciement de l'OIT, la Cour de cassation délivre deux avis favorables. Elle explique que la notion d'indemnité « adéquate » prévue par la Convention n° 158 doit s'entendre au sens d'une indemnisation adaptée laissant au Gouvernement le choix des compensations octroyées en cas de licenciement abusif (« marge d'appréciation » laissée aux Etats signataires par la Convention précitée).

 Poursuivant sa réflexion, la Cour constate que l'Etat français offre une mesure de réparation adéquate puisqu'est laissé au juge le droit de prononcer soit la réintégration du salarié licencié sans cause réelle et sérieuse, soit une indemnité substitutive déterminée librement au sein d'une échelle légalement établie (le barème).

 Les Conseils de prud'hommes et les Cours d'appel ne partageant pas la vision de la Haute juridiction entament dès 2018 un mouvement de rébellion rarement observé.

 Les motifs de cette résistance sont de deux ordres :

-  théoriques, avec la question de l'applicabilité directe de la Charte sociale européenne et la volonté chez certains juges de voir consacrer un contrôle conventionnel propre à chaque affaire (in concreto) ;

- pratiques, avec la question de l'inégalité de traitement appliquée à des salariés tous injustement écartés de leur emploi et celle de la discrimination indirecte résultant pour les femmes de l'instauration d'un barème d'indemnisation basé sur l'ancienneté (leur ancienneté étant généralement plus faible que celle des hommes).

 En 2022, la Cour de cassation appelée à intervenir en tant qu'autorité juridictionnelle entérine ses avis. Mais modifiant substantiellement son raisonnement, elle retient successivement en faveur de l'application du barème :

 1.   L'inapplicabilité de la Charte sociale (art. 24) au litige.

2.   L'applicabilité de l'art. 10 de la Convention n°158 au litige et sa compatibilité avec le barème (appréciée in abstracto).

3.   La notion d'indemnité « adéquate » entendue au sens de l'OIT comme dissuadant les licenciements injustifiés.

4.   Une dissuasion résultant en France de l'intervention de juges condamnant l'employeur à rembourser les indemnités chômage versées par Pôle emploi et indemnisant le travailleur injustement privé d'emploi.

5.   Une indemnisation « raisonnable » des salariés français (variant en fonction de la faute de l'employeur et de l'ancienneté du travailleur).

6.   L'impossibilité à contrôler in concreto du respect par le barème de la convention n° 158 en vertu du principe d'égalité devant la Loi.

 

L'opposition de certains juges du fond persistant (Cours d'appel de Douai, Grenoble et Chambéry ), la Chambre sociale connaît de nouveau du sujet en 2023 : «... en allouant à l'intéressée une somme représentant onze mois de salaire, alors que pour un salarié dont l'ancienneté dans l'entreprise est de cinq années complètes, le montant minimal de l'indemnité est de trois mois de salaire et le montant maximal est de six mois de salaire, la cour d'appel a violé le texte susvisé. »

 Pour la Cour de cassation le glas de la conventionalité in concreto a sonné : le barème doit être appliqué en l'état par les juges.

La « saga judiciaire » est-elle close comme d'aucuns l'ont annoncé ? Rien n'est moins sûr.

D'abord parce qu'un revirement jurisprudentiel est toujours possible et que les critères du barème sont eux-mêmes susceptibles d'évoluer en droit interne (voir  les préconisations de l'OIT invitant le gouvernement français à le suivre et le réévaluer si besoin pour assurer dans le temps sa conformité à la règle d'une indemnisation adéquate).

 Ensuite parce que cet outil pose une question essentielle, celle du but et des moyens : un but légitime (réduire en temps de crise le poids financiers des licenciements) justifie-t-il l'usage de moyens juridiquement discutables (et discutés) entraînant :

- une atteinte au principe de la réparation intégrale du préjudice subi  (indemnité d'un mois de salaire pour une tranche d'ancienneté donnée sans considération du préjudice réellement subi par le salarié licencié, qui varie selon ses perspectives socio-économiques de retrouver un emploi ;

- une atteinte à l'esprit du Droit européen dont des clauses protectrices les plus fondamentales sont vidées de toute force juridique contraignante et dont certaines  instances apparaissent démunies au plus haut point (voir le Comité Européen des Droits Sociaux dont l'opposition reste lettre morte) ;

- une dévalorisation des principes fondateurs de notre démocratie (égalité des droits, non-discrimination) dans la mesure où l'indemnisation du barème se fonde toujours en partie sur la taille de l'entreprise, donnée étrangère à la situation des personnes à indemniser et à leur préjudice.

 Le barème Macron renvoie en réalité à des questionnements encore plus profonds : sur le degré d'intégration du Droit européen, sur l'évolution de la relation de travail, sur la valeur accordée à la démocratie sociale dans notre pays et sur l'interdépendance des mondes juridico-politiques.

Au surplus, le moyen mis en œuvre - l'introduction d'un barème - a-t-il vraiment atteint sa cible dans la mesure où, si le coût et la contestation des licenciements abusifs apparaissent avoir fortement chuté, ceux relatifs aux licenciements nuls ont progressé, voire explosé dans le même temps ?

Une recherche pertinente sur ce point permettrait d'avoir une vision claire pour apprécier si la tempête juridique qu'a provoquée ce barème en valait véritablement la peine. 

 

Références :

- arrêts de la Chambre sociale du 11 mai 2022 (pourvois n° 21-14.490 et 21-15.247)

- arrêt de la Chambre sociale du 1er février 2023 (pourvoi n° 21-21.011)

Ella Ragain

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